Le point de vue politique d’économistes
- francoishada
- 24 juin 2024
- 3 min de lecture
Asseoir une dizaine d'économistes autour d'une table pour parler du monde... c'était prendre un risque, conformément à la blague traditionnelle qui veut qu'il ressorte de ce type de cénacles autant d'avis divergents que de participants. Certains des convives réfléchissent pour le compte de think-tanks (Le Jour D'Après, Comité Carnot), tous ont apporté et croisé des analyses précises et pratiques... quels sont les sujets économiques d'avenir? Quels sont les enjeux des années à venir?
Un conflit s'installe entre économie et démocratie. Trop de promesses n'ont pas été tenues, comme celle de l'Union européenne et celle du commerce international qui devaient favoriser la croissance. La mondialisation a peut-être produit ses bienfaits, mais elle véhicule aussi des inégalités.
Mais le plus grave est sans doute que les bienfaits de cette mondialisation sont redistribués de manière très inégalitaire entre les individus. Et plus il est difficile de générer de la marge, plus les inégalités gagnent en amplitude. La "vérité" économique semble se situer de fait entre le protectionnisme et l'ouverture.
Or l'absence d'adhésion démocratique au changement a de quoi inquiéter, ne serait-ce que parce qu'elle contribue au ralentissement des gains de productivité. En retenant l'hypothèse d'une croissance potentielle de 1 à 1,5%, on entre dans un modèle économique d'un nouveau type : 30 ans à 1% nous font changer de monde économique, nous plonge dans le monde de la stagnation séculaire, avec ses déclassements et des destructions d'emplois.
Dans ce contexte, la logique numérique s'impose, sans rencontrer apparemment de limites. Mais à l'inverse de la promesse - jamais vérifiée - d'une importante source de croissance 2.0, le big data est susceptible de détruire nombre d'emplois: il y a auto-destruction d'emplois dans un modèle économique où la règle est de s'affranchir de la règle... Les algorithmes permettent d'optimiser la captation du surplus du consommateur et d'appliquer aux consommateurs le prix optimal (maximal donc). A ce titre, l'économie financière pourrait même produire son propre processus marxiste! Ces marchés 2.0 une fois captés par une ou deux firmes géantes, sont-ils contestables? La stratégie de Google ou de Microsoft, n'est plus d'innover, mais d'absorber les innovations naissantes sur le marchés. Ces multinationales semblent, à cet égard, indélogeables...
A contrario, le défaut d'Europe, faute de gouvernement à cette échelle, interdit de réguler l'activité de ces géants du 2.0, ce qui accentue le risque démocratique. Cette défaillance de gouvernance invite à élever d'urgence le niveau du débat en la matière, voire, parfois, à simplement convoquer cette question sur la place publique. Il faut impérativement définir un cadre, poser des règles. Le transfert de facto de pouvoirs régaliens à Bruxelles appelle de même à une refondation européenne, laquelle peut reposer sur une politique européenne de la recherche, de l'éducation et de la formation professionnelle.
Par ailleurs, si la politique fiscale reste un pouvoir régalien national, il ne semble pas que les pouvoirs publics fassent preuve d'imagination pour rendre celle-ci efficace, en allant par exemple chercher les assiettes les plus pertinentes. Pourquoi ne pas transformer chaque "Uber" en collecteur d'impôts (TVA)? Peut-on encore taxer l'économie du "dumping" ? Peut-on passer un accord fiscal avec les entreprises contre une promesse d'emplois? A-t-on dressé un état de lieux sérieux des inégalités devant l'impôt? Les artisans sont-ils vraiment écrasés par les textes?
Enfin, force est de constater la mauvaise orientation des projets d'infrastructures publiques : les projets peu rentables et très coûteux sont décidés en lieu et place de projets qui portent l'activité économique (les routes, le réseau ferroviaire, etc.). Il est temps d'infléchir ces décisions politiques.
On en revient donc à une conclusion classique mais un peu passée aux oubliettes ces dernières années: il appartient à l'État (au sens large) d'investir dans les infrastructures publiques porteuses d'activités économiques, plutôt que de financer des projets immobiliers, par exemple, sans rapport avec les besoins des territoires. Reste la question brûlante de la souveraineté économique et son codicille européen: la règle (sociale, fiscale, de marché, etc.) doit être énoncée par les pouvoirs publics, mais ont-ils encore les moyens de son application? Comment recouvrer cette souveraineté?
Il est peut-être temps que les politiques écoutent (enfin) les économistes... ou que les économistes parlent politique.
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