Pas d’bagnole, pas d’boulot

Ils sont cinq, serveurs et surtout serveuses dans des cafés ou des restaurants du sud ouest de la France, entre Biscarrosse et Hendaye. Ils sont payés au black, se débrouillent avec 600 ou 700€ par mois. Comment vit-on avec 600 € ? « Parfois c’est jusqu’à 700€, avec les pourboires. Les clients sont généreux, ils nous apprécient. »

Mais vous n’avez pas d’aide sociale, des allocations ? La solidarité nationale est là pour vous protéger. « Mais elle m’apporte quoi, la sécurité sociale ? Je suis payée en cash, je ne suis pas déclarée, je n’ai pas de cotisation retraite, je n’ai pas de mutuelle, je n’ai pas droit au chômage, j’aurai une retraite de m***e… » Tous les discours de solidarité se heurteraient-ils à cette situation? « Surtout que les riches, ils s’en foutent de la sécurité. » Un autre argument?

Surtout qu’il y a de la casse. « Il ne me payait pas, il me disait que le bar était en difficulté, mais que bientôt il aurait l’argent. » « Je suis aller voir un syndicat qui connaissait bien le droit. Ils ont envoyé les papiers au tribunal. Mais ça n’a rien donné. J’ai bossé deux mois pour rien. »

« Il m’a virée un matin, sans indemnité, le c*****d ! » « De toutes façons, il me traitait comme une serpillère et il m’a jeté un torchon à la figure ! Alors, je suis partie. Comme ça. » « Alors j’ai pris un avocat, faut se faire respecter. Mais ça traîne. »

Comment vous logez-vous ? «  Moi, je loge l’hiver à Dax, dans un appartement que j’entretiens. Pour rien. Mais l’été, quand les  touristes arrivent, je dois partir… je me débrouille. » « Bah tu sais, on connaît toujours quelqu’un qui sait où on peut loger sans tous les papiers administratifs. » « Souvent, on habite loin du boulot. » C’est à dire? « Je suis à Cap Breton. Ça fait 40 ou 50 km pour aller au boulot. À 90km/h parce qu’il y marqué 90, je roule à 90. » Éclat de rires. Et donc? « Donc sans bagnole, pas de boulot! » Il n’y a pas un TER ou un bus ? Éclat de rire. « Mais le bus ne passe jamais et puis je bosse tard le soir… »  Dans ces conditions, la moindre hausse de l’essence est « mortelle ».

Et comment vous achetez vos voitures d’occasion ? « Non, j’ai acheté la mienne presque neuve, qu’est que tu crois? J’ai fait un crédit à ma banque. Je suis encore endettée pendant 15 mois pour ma voiture. Mais ça tient. Et puis sans bagnole, je peux pas aller bosser. »« Et toi, t’es venu en hélicoptère? » me taquine J.

G « bosse dans la zone industrielle. Le bar n’est pas beau. Mais ça va, je suis appréciée. » Aucun contrat de travail? « non… mais le patron m’aime bien et les clients aussi m’apprécient… quand j’arrive, ils sont contents. Et d’ailleurs c’est pour que R (le patron) me vire pas, y a personne qu’a mon expérience et qui veut bosser là. C’est pas une petite jeune toute mignonne qui peut faire le job. Elles savent pas tenir un plateau. C’est un métier. »

Combien d’heures travaillez-vous? « 15 à 20 heures par semaine. Ça dépend, R m’appelle pour des remplacements. Je fais souvent la fermeture vers 3/4 heures du mat’ »

Est-ce dangereux ? «  Non, les clients me protègent. » «  Y a quand même les Arabes. Ils cherchent les e******s. Ils veulent piquer des bouteilles » « Ou la recette. » En revanche, « les Gitans nous défendent. » Mais M est d’origine maghrébine ? « Elle nous aime bien et on la connaît.»  M sourit, gêné ? G ajoute:

« Y a quand même des Gitans qui cherchent la m***e. Mais ça va, les clients nous protègent. »

Et comment faites-vous la fête? « On va à la pizzeria… c’est pas cher et c’est bon. On se retrouve et on rigole bien… jusque dans la nuit et ça fait du bien. »